Performance collective au cœur de la pirogue polynésienne

Intelligence collective. Hommage à la pirogue polynésienne

La performance collective est bien plus importante que la performance individuelle, dans le sport comme en entreprise. Parlons-en.

Le partage de valeurs et une culture d’entreprise clairement définie représentent des briques essentielles pour porter une organisation, pour faire en sorte que le tout soit supérieur à la somme des parties. Ceci peut être défini comme une émergence qui aboutit à ce que la performance collective soit supérieure à la somme des performances individuelles.

L’exemple du sport est de mon point de vue très approprié pour expliquer ces notions. Pour commencer par le domaine du football, à lire la presse j’ai bien souvent l’impression qu’il ne s’agit “que“ d’un sport collectif, en ce sens qu’il faut bien passer le ballon à quelqu’un à un moment donné ; alors autant le faire à un joueur qui porte les mêmes couleurs que soi. Nous sommes là avec une somme d’individualités, souvent toutes très douées mais qui ne cherchent pas forcément à se transcender pour leurs coéquipiers, jouant une partition personnelle. Ce constat peut sembler caricatural mais encore une fois la lecture des comptes-rendus contribue régulièrement à cette réflexion, sans en faire une généralité évidemment.

Prenons maintenant le rugby. La notion de sacrifice pour le partenaire est ici totale et évidente. Une différence avec le football est qu’il s’agit d’un sport de contact et non plus d’évitement. Je reprends (avec facilité) cette blague sur la différence entre le football et le rugby : dans le premier on a des joueurs qui passent 90 minutes à faire semblant d’avoir mal, dans le second on a des joueurs qui passent 80 minutes à faire semblant de ne pas avoir mal. La souffrance est dans les gênes de ce sport. Le laisser-aller, en garder sous le pied, sont les meilleurs moyens d’aller à la blessure. On se doit donc de se protéger et de protéger ses partenaires.

En outre le rugby est un jeu de conquête, dans lequel on doit être capable de mettre la tête là où le commun des mortels n’oserait pas avancer un pied. Pour y parvenir il faut être confiant dans le soutien de ses équipiers. Il y a quelques années j’assistais à une conférence de Fabien Galthié. Sur la question de ce qu’est un jeu d’équipe il expliquait qu’un ailier qui marquait un essai allait immédiatement remercier les gros (les avants) : s’il avait marqué c’était grâce à leur travail de l’ombre, à leur soutien, à leur abnégation. C’est dans cette reconnaissance que je vois la différence entre les notions de collectif et d’équipe. Cela n’empêche pas la « starisation » de certains joueurs mais n’en déplaise à certains nous vivons au XXIème siècle. Un autre exemple tiré du rugby est la mêlée. Au-delà du poids, d’une très grande technicité et de la force musculaire dégagée, un pack ne peut pas tenir, même avec 80 kg de plus que celui d’en face, s’il n’y a pas une cohésion parfaite, une absolue synchronisation du mouvement à l’impact.

Cette synchronisation parfaite est celle que l’on retrouve dans la pirogue polynésienne, le Va’a

On peut intellectuellement définir l’esprit d’équipe (et il est nécessaire de le faire), débattre indéfiniment sur celui qui anime plutôt tel ou tel groupe comme je l’ai fait en évoquant le football (un peu caricaturé) ou le rugby (un peu sublimé), mais même en ovalie la victoire peut passer par l’exploit personnel d’un arrière qui intercepte un ballon dans ses propres 22 mètres et file à l’essai. 

Faire avancer une pirogue de 14 mètres de long et 140 kg est aussi une affaire de muscles, c’est une évidence, du moins quand on est en recherche de performance, mais c’est avant tout un total esprit de collaboration entre les 6 rameurs. Les tahitiens parlent de tahoe qui signifie s’unir, faire corps, être ensemble. Chacun a un poste et une fonction précis (ses compétences), ils ont tous la même importance, du faahoro qui donne le rythme, au peperu qui barre. Au milieu de la pirogue un capitaine coordonne le tout, il est le seul à parler. Les consignes sont d’ailleurs très simples et la plupart du temps transmises par différence d’intonation d’un cri (pas un hurlement, un cri d’une seule syllabe pour que tout le monde entende). Ce n’est pas une question d’autorité mais d’efficacité. Ce sport est dur, il s’exerce parfois dans des conditions difficiles (une mer démontée), le message ne peut pas être brouillé, mal compris.

L’esprit d’équipe trouve ici sa parfaite illustration.

Une pirogue sur laquelle tous sont dans une synchronisation parfaite glisse aisément sur l’eau. Ceci signifie que tous entrent et sortent leur pagaie de l’eau dans la même fraction de seconde, Pour y parvenir il faut être à l’écoute, centré uniquement sur l’objectif de faire avancer la pirogue. A l’écoute et dans l’observation de ses co-équipiers, des changements continuels de rythme (on ne tient pas à fond pendant plusieurs heures, on s’adapte aux vagues, aux courants, au vent…). Quand ces conditions sont réunies on rame en souplesse, le mouvement est fluide. Pourtant là aussi on doit être prêt à « souffrir » pour ses co-équipiers : compenser la fatigue de l’un, l’hydratation de l’autre (chacun son tour SVP). Paradoxalement cette « souffrance » est synonyme de plaisir. 

Quand un équipage, même si c’est juste pour une promenade, se met dans cet état d’esprit, les choses lui apparaissent faciles à réaliser et il ne perçoit pas vraiment la fatigue sur le moment. Il semble parfois à l’arrivée que la pirogue a avancé toute seule, aidée par la mer. Pas de métaphysique dans ce constat, il a fallu produire de l’huile de coude, mais il subsiste au final une intense satisfaction qui transcende la fatigue : celle d’avoir bien travaillé en quelque sorte, celle aussi d’avoir réussi quelque chose de bien avec et pour l’équipe, notamment quand les conditions ont été difficiles. La force déployée ici est bien celle du tahoe.

On peut naviguer au sein d’un équipage très hétérogène (en force musculaire, dans les attentes de chacun). Si un objectif collectif a été approuvé par tous, alors cet équipage effectuera une bonne navigation, que cet objectif soit ambitieux, gagner une course par exemple, ou modeste, naviguer jusqu’à telle plage et se faire bronzer, pourquoi pas.

Par un objectif collectif non défini ou par manque d’expérience ou bien par indiscipline, par fatigue, etc. une pirogue dans laquelle tous ne sont pas dans la même cadence n’avance pas. Au lieu de glisser elle avance par à-coups, vibre, est dure à barrer. Si elle devient dure à diriger les équipiers s’épuiseront, perdront en synchronisation rendant encore plus difficile le travail de tous, petit à petit chacun oublie les autres, l’équipe… 

On voit ici très clairement que, à compétences et à performances individuelles identiques, on peut basculer du côté du succès, comme de celui de l’échec, avec pourtant la même équipe.

La performance d’une organisation dépend donc tout autant de la capacité de faire adhérer à un projet collectif, que de la compétence de chaque individu qui la compose, en termes de hardskills, mais également de softskills (simplement sa bonne humeur parfois, ou son sens très critique, sa rigidité, qui pourraient apparaître comme des facteurs négatifs mais peuvent se révéler au contraire régulateurs…).

Le lien avec le monde de l’entreprise devient ici évident. Quand les collaborateurs n’ont pas connaissance des objectifs de l’organisation, quand ils n’ont pas établi un champ de valeurs communes à même de guider leurs actions, comment peuvent ils réellement collaborer, avoir envie de travailler ensemble ?  

En RH on parle de gérer des talents, on met en place des opérations de team building, on se soucie de plus en plus du bien-être au travail – souvent par peur de se voir reprocher de ne rien faire contre les RSP –, on trouve même des Chief Happiness Officers. C’est bien. Peut-être devrions nous simplement nous demander si nous ramons bien à la même cadence pour aller au même endroit.


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