C’est drôle les modes tout de même. Qui avait entendu parler de disruption il y a ne serait-ce que 5 ans ? Les communicants (et encore !) puisque le terme est une marque déposée par l’agence TBWA en 1992. L’innovation disruptive elle est un concept évoqué pour la première fois en 1995 dans la Harvard Business Review. Et pourtant là aussi, rien pendant pratiquement deux décennies. Jusqu’à ce que l’on nous mette de la disruption et de l’innovation disruptive à toutes les sauces. Ayant fini de jouer avec la soi-disant Génération Y, il fallait bien trouver un nouveau colifichet.

Du coup on mélange tout. On touille, avec un peu de 2, voire 3, et même 4.0, d’ubérisation, d’Intelligence Artificielle, etc. Ne surtout pas laisser mijoter, les modes passent vite. Alors « disruptons » en chœur.

Revenons pourtant à la théorie initiale : une innovation disruptive intervient quand une entreprise de petite taille attaque un marché en s’intéressant à des segments délaissés par les plus grands. Une fois établie sur son segment, elle monte en gamme et s’impose sur l’ensemble des segments. Elle est alors rejointe par les acteurs initiaux, qui doivent faire face à leurs pertes de parts de marché. C’est à ce moment-là que se produit la rupture.

On en est venu à confondre avancée technologique et innovation disruptive. Qui se souvient de la Digital Compact Cassette de Philips et même du MiniDisc de Sony ? Ces produits ont été imaginés par des leaders sur leur marché, mais ils ont omis de mettre en place l’écosystème nécessaire à leur développement (les leçons du V2000 et du Betamax deux décennies auparavant n’auront pas suffi), et surtout n’ont pas vu l’émergence d’Internet qui a favorisé le développement des baladeurs MP3, vendus beaucoup moins chers, même au début, par des « non-marques ». Quand Sony et Philips se sont lancés dans la MP3 il était déjà trop tard pour eux. Dans ce domaine la deuxième rupture est venue d’Apple, non pas avec l’iPod – simple évolution du MP3 -, mais avec iTunes.

Appliqué au domaine de la communication de recrutement il semble intéressant de considérer l’évolution au cours des deux dernières décennies. Dans les années 2000 les job boards prirent la place des annonces classées de la presse écrite en attaquant effectivement le marché par le bas. Dès le démarrage une annonce vaut quelques centaines d’euros contre plusieurs milliers en version papier. Ceci permet de s’adresser à une clientèle d’entreprises qui ne peut pas se payer une annonce d’offre d’emploi avec une visibilité nationale. La marge est moyenne mais les volumes sont au rendez-vous.

Une fois bien établis sur ce marché, les job boards ont effectué leur montée en gamme en proposant d’autres services aux chercheurs d’emploi (pour développer l’audience) : conseils sur les CV, la recherche d’emploi, la formation, les rémunérations… et pour les entreprises : accès à des bases de données de CV principalement. Pour continuer à exister sur ce segment de marché la réponse du Figaro fut le rachat de Cadremploi, numéro un des acteurs privés, les autres ont disparu (L’Express avait un supplément spécial dédié aux offres d’emploi, la presse quotidienne régionale également).

Aujourd’hui Leboncoin arrive face aux job boards. Est-ce qu’à l’origine les offres d’emploi qui y étaient diffusées faisaient partie d’une stratégie d’entrisme sur ce marché, ou bien est-ce que le développement de cette diffusion ne s’est fait que par opportunisme ? Toujours est-il que ces annonces gratuites au début (attaque du marché par le bas) sont aujourd’hui payantes pour les entreprises. Et Leboncoin communique sur ce produit au même titre quasiment que les acteurs « historiques » du secteur. Pour autant, venir « secouer » ces derniers ne représente pas (encore ?) une rupture, il manque la brique innovation et, ce qui fait une des grandes forces des job boards aujourd’hui : les bases de données de CV.
LinkedIn peut être considéré en grande partie comme une base de données de CV (de profils). Créé la même année que Facebook (en 2003), l’innovation n’est pas tant technologique que dans la bonne compréhension de ce qu’est le 2.0 (« from many to many« ). Arrivé en France en 2008, le coût d’une annonce, achetée à l’unité, y est moindre que sur les plus importants job boards ; celui d’accès à des recherches de profils avec un compte « simple » recruteur (recruiter lite) également (moins de 1000 euros contre plusieurs milliers d’euros). LinkedIn est aujourd’hui incontournable sur le marché, aucun recruteur professionnel ne peut plus travailler sans. La stratégie de Viadéo (créé en 2004), qui a monétisé l’inscription pour les candidats, a finalement abouti à son rachat par, à nouveau, le Figaro.

Si l’on semble bien être dans des processus d’évolutions disruptives, la question qui se pose est celle de l’étape suivante. Elle se joue indéniablement dans l’utilisation du big data, dont on parle également beaucoup en RH (il n’est pas une semaine sans que l’on puisse lire un article sur le sujet). Et pourtant en matière de recrutement les avancées n’apparaissent guère. Accéder à la donnée est essentiel donc. Elle est aujourd’hui chez les GAFA et consorts (on peut penser que Microsoft n’a pas racheté LinkedIn 26 milliards de dollars pour rien par exemple). Quel sera le nouvel acteur capable de venir les perturber ?

Marc Low